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Critique : Birdman, réalisé par Alejandro González Inárritu

21 février 2015

De part son sujet, une distribution plus qu’enthousiasmante sur le papier et des trailers au top, le nouveau film de Alejandro González Inárritu, 5 ans après un Biutiful que je n’ai d’ailleurs étrangement toujours pas vu, figure parmi les favoris pour les Oscars depuis plusieurs mois déjà. Souvent nommée, mais jamais récompensée dans les catégories principales, l’oeuvre du réalisateur mexicain n’a peut-être jamais été aussi proche de toucher du doigt la célèbre statuette et d’en ramener des brouettes.

Si je ne peux nier quelques petits manques de finesse plus ou moins embêtants et qui empêcheront peut-être le film de marquer autant qu’il aurait pu, il s’agit là au moins d’un film majeur de cette année 2015 voire un peu plus. Par son propos et son scénario à étages multiples déjà. Le premier et le plus évident tourne autour de la vie et condition des artistes. Bien évidemment, le parallèle entre la carrière de Michael Keaton et son personnage est tellement flagrant qu’il n’est pas tellement besoin d’en dire plus. En regardant un plus loin, cela marche aussi, dans une moindre mesure, avec celle d’Edward Norton, soit dit en passant l’un de mes acteurs favoris, qui fut quelques années au firmament et “oscarisable”, enchaînant les longs métrages et prestations de grande qualité avant de sombrer durant une dizaine d’années dans des films de seconde zone pour finalement revenir assez récemment (merci Wes Anderson) par le biais de seconds rôles de films marquants. Birdman en est d’ailleurs le meilleur exemple et il y est une fois de plus scotchant. J’ai par ailleurs eu une affection particulière pour son personnage qui (sur)joue tellement sa vie qu’il ne retrouve son naturel qu’une fois sur scène.
Je note tant que j’y suis que l’ensemble du casting est vraiment réussi. Que ce soit Emma Stone, Naomi Watts ou encore Zach Galifianakis, ce dernier délaissant enfin un peu le rôle du bouffon de service, tous ont l’occasion de montrer ce qu’ils valent dans des rôles consistants, quelque soit leur temps d’apparition, et tous tirent leur épingle du jeu dans des styles volontairement assez théâtraux et parfois un peu caricaturaux. Ils sont bien aidés par Inárritu dont la mise en scène, en dehors de l’aspect technique sur lequel je reviendrai par la suite, met vraiment ses acteurs en exergue. Il aime cet univers autant qu’il en déteste certains aspects et cela transparaît à chaque instant.

Au-delà de sa trame principale autour du come-back et cette mise en abîme, Alejandro González Inárritu étend un propos, plutôt simple au départ à une critique, malheureusement parfois un peu grossière, du monde du show business. Ce besoin outrancier de reconnaissance et surtout d’accéder à la célébrité, l’hypocrisie prégnante des protagonistes de cet univers qui mentent autant aux autres qu’à eux-mêmes sous le regard médusé des techniciens. Il touche aussi un mot de l’importance toujours grandissante des médias, par le prisme des réseaux sociaux et de la “télé réalité”. Il est d’ailleurs assez drôle de voir que si le film joue perpétuellement sur l’ambiguïté autobiographique de certains acteurs du casting et reste souvent sur le fil entre le réel et la rêverie (ou folie), il s’ancre sans cesse sur des références on ne peut plus réelles, citant diverses œuvres et acteurs bien connus du grand public, généralement pour dénoncer un peu plus ouvertement ce qui lui déplaît. Il est aussi assez paradoxal de constater que le personnage le plus “normal” du film est aussi celui qui sort d’une cure de désintoxication.
Après, il faut quand même bien dire qu’il ne s’agit là que de choses que l’on sait déjà et qui ont toutes déjà été traitées au cinéma. Récemment, David Cronenberg s’y est attelé de façon plus mordante, mais aussi plus maladroite, dans Maps To The Stars.

Mais passons à l’autre grand morceau de bravoure du film : sa mise en scène. Le procédé n’est pas inédit et l’on pense évidemment à La Corde d’Alfred Hitchcock, mais très rares sont les réalisateurs capables de maîtriser à ce point la technique et le procédé du plan séquence pour pouvoir l’étirer, de manière fictive, sur la durée d’un long métrage. Comme j’avais volontairement lu peu de choses avant ce visionnage dont j’attendais beaucoup, je n’étais pas au courant de cette ambition et ait été d’autant plus agréablement surpris lorsque je me suis rendu que ce magistral plan d’ouverture ne voulait jamais se terminer. De temps à autres, on devine le truquage, par exemple lorsque la caméra entre dans des zones d’ombres, mais globalement c’est un véritable tour de force qui mérite à lui seul la séance. La caméra n’a peut-être jamais aussi bien filmé les coulisses d’un théâtre, virevoltant sans cesse dans ses travées souvent étroites, grouillant d’activité au plus près de la scène mais desquelles peuvent aussi parfois ressortir un terrible sentiment de solitude. Aussi, fait notable, le côté clinquant voire grandiloquent de la mise en scène ne se fait jamais au détriment de l’émotion et du jeu. Alejandro González Inárritu est parvenue à une belle et impressionnante harmonie entre le fond et la beauté formelle. La photographie, signée Emmanuel Lubezki se passe de commentaire. Il suffit de dire qu’il est un habitué des travaux de Terrence Malick ou Alfonso Cuarón pour se douter du niveau d’excellence.

Parfait dans la forme comme dans son interprétation, avec une bande son réussie et pour le coup originale, il ne manque qu’une once de subtilité dans son sous-texte pour que Birdman marque pleinement son époque. Il s’agit malgré tout d’un film important et à ne surtout pas rater dans ce mois de février toujours riche cinématographiquement parlant, à l’opposé du classicisme régnant à Hollywood (suivez mon regard vers Imitation Game ou encore 12 Years A Slave). Par certains côtés, j’ai pensé à Black Swan et The Wrestler, tous deux réalisés par Darren Aronofsky, qui avaient su venir titiller les réalisations plus académiques sur leurs propres terres récemment. Inárritu appose une marque et un style différents mais aussi des thèmes finalement proches de ces deux films. Je souhaite tout autant de réussite à Birdman qu’à ces derniers et j’espère pour Michael Keaton que ce tonitruant retour sur le devant de la scène ne restera pas sans suite comme ce fut le cas après Jackie Brown dans lequel il se révélait déjà éblouissant.


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