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Critique : Kamikaze, album surprise d’Eminem

1 septembre 2018

Peu importe la qualité de ses derniers opus, chaque nouvel album d’Eminem est forcément un événement dans le monde la musique, celui-ci restant à ce jour le rappeur ayant vendu le plus de disques dans l’histoire, avec un nombre aujourd’hui estimé autour de 200 millions de ventes. “Kamikaze“, paru totalement par surprise hier, lui permet d’atteindre la barre des 10 albums studio en solo. Et son arrivée seulement 9 mois après le vivement critiqué “Revival” n’a rien d’anodin.

Cela fait maintenant près de 10 ans que beaucoup de fans de la première heure considèrent Marshall Mathers comme étant sur le déclin, et j’en fais partie, même s’il m’a fallu du temps pour l’accepter. Après un “Relapse” déjà un peu critiqué mais qui a finalement plutôt bien vieilli, les choses se sont progressivement gâtées en terme de qualité et d’inventivité à partir de “Recovery“, sonnant comme le véritable début d’un virage plus Pop, avec le succès qu’on connait à certains singles toutefois. C’est aussi la période où le personnage de Slim Shady se met en retrait, Eminem lui-même étant moins en proie à ses démons que dans le passé. Et paradoxalement, ce qui rongeait le rappeur dans son quotidien faisait aussi une bonne partie du sel de sa musique. Nous sommes nombreux à avoir grandi en l’écoutant simuler le meurtre de son ex-femme, déballer au grand jour la relation tumultueuse avec sa mère, exposer ses problèmes avec la drogue ou ses incessantes inimités dans le monde de la musique. Eminem osait tout, et cela l’inspirait clairement.

Forcément lorsqu’il a commencé à lorgner dans ses textes sur les thèmes de la rédemption ou d’amour déchu, le résultat ne pouvait finalement qu’être déception. D’un ton cynique et ravageur, on est progressivement passé à quelque chose de mielleux voire souvent niais. Et quand en fin d’année dernière, il tente de revenir à un propos plus politisé à travers Revival, on n’y croyait plus. Sans parler de ses choix de production souvent douteux.
Je garde aussi toujours en symbole la présence constante Skylar Grey aux côtés d’Eminem depuis le début de la décennie. Signé sur son (sous-exploité) label Shady Records, elle a écrit nombre des refrains sirupeux qui ont jalonné les singles depuis lors. A l’image du soporifique “Love The Way You Lie” ou le plus récent “Walk On Water“, prévu initialement pour Adèle mais qui échouera finalement à Beyoncé. Au final, il ne restait plus à Eminem qu’une seule chose : sa technique toujours plus perfectionnée d’année en année. Mais même sur ce point il est critiquable dans le sens où son débit ultra-rapide est devenu une sorte d’automatisme qui ne surprend plus personne.

Résultat des courses : “Revival” se révèle être un échec autant critique que public voire commercial, même s’il s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires au final. Et moins d’un an après sa parution, il est surtout déjà en grande partie oublié. Sauf par Marshall Mathers lui-même en fait, dont la rancoeur s’est fait sentir dès les premières interventions post-sortie. Ce qui nous amène donc aujourd’hui à parler de “Kamikaze“, de sa sortie inattendue dénuée de toute promotion et de son propos explicitement en réaction à ses échecs récents. Et Eminem n’est-il finalement jamais meilleur que lorsqu’il est en colère ?

Au lancement de “The Ringer“, on peut supposer que oui, tant le titre se révèle percutant et puissant. Une introduction d’un niveau que l’on avait plus écouté chez Eminem depuis longtemps. Cela continue d’ailleurs plutôt bien avec l’égo trip “Greatest” qui suit, sur lequel est d’ailleurs crédité à l’écriture Kendrick Lamar (à quand un vrai son entre les deux qui ne soit pas juste un titre potache ?). Classique mais efficace. Arrive ensuite une des bonnes surprises de l’album : fini les featurings foireux de chanteuses et chanteurs plus ou moins à la mode, on revient à quelque chose de plus Hip Hop. La joute entre lui et Joyner Lucas, également un très gros performeur en terme de flow et qui trouve ici un formidable tremplin à sa carrière internationale, vaut le détour. On est certes dans la démonstration une fois de plus, mais le fait qu’ils se répondent techniquement justifie la présence du morceau.

Je passe sur les skits en forme de note d’intention, peut-être trop explicites d’ailleurs, ce qui peut faire perdre un peu de force au message. Et aussi rapidement sur le morceau “Normal“, moins marquant après quelques écoutes.
Nous arrivons directement à “Stepping Stone” et ses sonorités qui font inévitablement penser à l’époque des sonorités rock de “The Eminem Show“. On n’atteint jamais ce niveau et j’ai du mal à dire si j’apprécie véritablement le titre ou non. Mais je l’ai beaucoup écouté depuis hier mine de rien, donc ça fonctionne disons.

Arrive ce qui sera sans doute la track faisant le plus parler de l’album : celle des règlements de compte sans quoi Eminem ne serait plus tout à fait lui-même. Le natif de Detroit s’amuse cette fois à parodier tout ce qui fait le succès du rap aujourd’hui, de la production au type de flow, mais sans tomber de ridicule comme c’est souvent le cas quand un vieux tente dans ce genre d’exercice. Accompagné par son compère Royce Da 5’9″ (ravi de le retrouver là par ailleurs), le morceau est une réponse directe au “Look Alive” de Drake, au point d’en partager le même producteur, à savoir Tay Keith. Un joli pied de nez, mais Eminem ne s’arrête pas là et plusieurs rappeurs, notamment Machine Gun Kelly en prennent ici pour leur grade.

Et cela restera par contre le dernier point d’orgue de “Kamikaze“. Le diptyque avec Jessie Reyez en fin d’album fonctionne assez parce que la complémentarité entre les deux artistes fonctionne étrangement bien. Mais rien de foncièrement marquant. Quand au titre éponyme, à “Fall” et “Venom”, ils sont au mieux dispensables. Comme si la flamme des premiers morceaux s’éteignaient déjà. Dommage.

Kamikaze“, passé les deux ou trois premières écoutes, se révèle donc un album plutôt sympa dans l’ensemble, moins calculé, plus brut et avec quelques très bons morceaux. Mais s’il est bien plus intéressant que “Revival” ou “MMLP2“, il reste largement imparfait et il ne faut évidemment pas (plus ?) s’attendre à retrouver un jour l’ampleur d’un “Marshall Mathers LP” ou de “The Eminem Show“. Cette époque est révolue, Eminem a désormais 45 ans et plus de vingt ans de carrière derrière lui. C’est déjà une longévité à ce niveau de notoriété et de succès inédite dans le Hip Hop. Slim Shady a disparu pour laisser place à un Marshall Mathers pas forcément toujours plus mâture dans le propos mais moins dans le jeu et plus naturel. Accepté ce fait, cela s’écoute franchement sans déplaisir. En espérant tout de même pour la suite qu’il ait compris qu’il ne s’est pas toujours très entouré d’artistes complémentaires de son talent sur ses derniers projets.


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