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“iridescence”, où le phénomène BROCKHAMPTON

22 septembre 2018

Iridescence : Phénomène optique selon lequel une surface change de couleur en fonction de l’angle sous lequel on la regarde.

Quel titre pouvait mieux convenir à un album de BROCKHAMPTON que “iridescence” à la lecture de cette définition ? L’analogie est même saisissante tant la couleur de leur musique peut changer du tout au tout, non seulement entre chaque piste de leurs projets mais souvent au sein même de leurs morceaux. La créativité du collectif mené par le charismatique Kevin Abstract se défait volontiers de toutes les barrières imposées par les genres musicaux ou du schéma classique d’une chanson pour tenter de créer quelque chose de neuf et unique.

Non pas qu’il n’y ait pas d’inspirations tangibles dans ce capharnaüm bien plus organisé qu’il n’y parait. La plupart des membres de BROCKHAMPTON se sont connus au tout départ via un forum web de fans de Kanye West et cela n’a rien d’un hasard. Au détour de quelques séquences au son souvent hyper saturé, on devine aussi leur intérêt pour les discographies de groupes dits alternatifs et expérimentaux dans le rap tels que Clipping ou Death Grips. Mais tout cela est digéré et aujourd’hui, après le triptyque “SATURATION” et cet “iridescence“, opus étant lui-même destiné à lancer une nouvelle trilogie intitulée “best years of our lives” , on reconnait dès les premières notes leur musique. Et ce n’est pas une mince affaire à notre époque de créer quelque chose d’aussi singulier.

Puisque le sens des choses n’est plus tout à fait le même avec ce crew qui se revendique en tant que “boy band”, prenons les choses à l’envers avec “FABRIC“, dernière piste de ce premier album sous l’égide d’une major mais qui résume finalement assez bien le côté imprévisible et en constante transformation de leur son.

Tout commence par un “Objet Sonore Non Identifié”, peu mélodique, saturé voire rebutant. Accompagné de ces mots qui en disent long sur la proposition et l’état d’esprit de BROCKHAMPTON : “Take it all or leave it all” .
Juste avant se terminait le morceau “TONYA” , un des plus posés de l’album et le choc est d’autant plus grand, même si à vrai dire on a un peu eu le temps de s’y acclimater durant les 14 premières pistes en forme de montagnes russes musicales. Repart-on en guise de bouquet final sur un morceau brutal à la “J’OUVERT” , single presque plus crié que rappé ?

En fait non puisque dès la quatrième seconde une nouvelle boucle très différente se met en place. Pas de basses, pas de drums, juste une petite ritournelle de six notes vite entêtante, mais aussi douce qu’inquiétante parce qu’une fois de plus, on ne sait pas où la chanson nous mènera. On semble pourtant cette fois tenir le bon bout puisque ce rythme lancinant s’installe le temps d’un couplet de Kevin Abstract puis un autre de Dom McLennon. Ils y évoquent l’évolution du collectif, leur ambition et aussi la genèse de “iridescence” rendue compliquée par l’éviction d’un de leurs membres fondateurs, Ameer Vann faisant l’objet d’une procédure pour agression sexuelle.

Vient enfin ce qu’on suppose être le refrain avec ses chœurs féminins. Insidieusement, une routine de basses s’insère brièvement, comme un préambule de ce qui est à venir, et alors que l’on s’apprête à repartir pour un tour avec les couplets des autres rappeurs, l’instru en profite pour muter à nouveau. Les notes sont toujours là, mais la forme diffère grandement, l’ensemble se veut plus rythmé et organique. Un type de beat que ne renierait pas un Dr. Dre et son clavier de la belle époque, la puissance des basses en moins toutefois.

Les chœurs réapparaissent quelques instants plus tard mais s’accompagnent cette fois en fond d’un bruit de sirènes annonciateur du point de non retour. Les basses s’emballent alors, singeant le rythme cardiaque à son plus haut, l’ambiance se fait angoissante et la mélodie s’efface un peu plus à chaque boucle jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une grosse basse industrielle dérangeante qui se répète durant des secondes qui paraissent interminables.

Fin de l’album… Ou pas puisqu’on n’est plus à un rebondissement près. Resurgit donc notre “O.S.N.I” du début après quelques secondes de silence. Quelques étranges balbutiements plus tard, en forme de teaser de la suite, l’album s’achève cette fois pour de bon et brutalement sur ces mots : “I feel you“.

Voilà, c’est finalement ça BROCKHAMPTON : le changement perpétuel, l’expérimentation, la prise de risque et une certaine radicalité dans la forme. A aucun moment cela cherche à plaire ou à être agréable. Et pourtant je l’écoute en boucle depuis 24h, comme j’ai écouté encore et encore les “SATURATION” et le trio de singles sorti plus tôt cet été. Il y a quelque chose de fascinant dans leur recette.
Elle laisse peu de place à d’éventuels invités. Seules les présences de Jaden Smith, crédité sur “NEW ORLEANS” en ouverture, et de serpentwithfeet, dont la soul expérimentale colle à merveille ici, sont à retenir. Au-delà de ça, on peut noter aussi sur “HONEY” la présence d’un sample de “Dance For You” de Beyonce, mais fait plus marrant, ce même morceau contient surtout un sample du collectif lui-même, reprenant un court extrait de “BUMP” sorti l’an passé.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier que BROCKHAMPTON est plus qu’un groupe de rap. Si Kevin Abstract, Matt Champion, Merlyn Wood, Dom McLennon, Joba et Bearface forment le devant de la scène, il ne faut pas oublier les trois producteurs qui font aussi une grande partie de leur succès. Romil Hemnani et le duo Q3 (Jabari Manwa & Kiko Merley) sont là depuis le début également et signent encore toutes les tracks ici. Et que dire de la direction artistique mise en place par Henock “HK” Sileshi, avec ces photos filtrées comme extraites de caméras thermiques que les fans sur Twitter s’amusent à reproduire en photo de profil ces derniers jours.

Plus tôt dans la journée, je regardais la vidéo de leur live Youtube depuis la Nouvelle-Zélande fait à l’occasion de la sortie de l’album. Ce que j’ai vu était à leur image. Le set était minimal, les membres du groupes pris individuellement semblent ne rien avoir à faire avec leurs compères tant les styles diffèrent. Sans compter que la prestation était agrémentée de pas mal de soucis techniques avec les micros. Kevin Abstract, qui tient le show sur ses épaules à lui seul vu que les autres sont globalement effacés entre les morceaux, s’est même excusé sur Twitter après coup en disant qu’il avait été mauvais parce que malade. Un beau bordel en somme.
Pourtant la sauce prenait dans la salle surexcitée dès que les instrus se lançaient. Et devant mon écran je les enviais. Peu importe les imperfections du spectacle offert, l’essence de BROCKHAMPTON était là, la magie opérait et je voulais en faire partie !


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