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Critique : Kendrick Lamar – To Pimp A Butterfly

24 mars 2015

Nombreux sont les rappeurs à émerger chaque année avec une ou deux mixtapes réussies, dont on dit ou pense d’emblée qu’ils sont des stars de demain. Parmi eux, c’est un peu comme les “nouveaux Zidane” en football, 95% se cassent les dents lorsqu’il s’agit de s’élancer vraiment sous les feux des projecteurs. Je ne les listerai pas ici, mais depuis le début de cette décennie, ils se comptent peut-être sur les doigts d’une seule main.

Lorsque Kendrick Lamar, originaire de Compton comme bien d’autres légendes du rap avant lui, sort son premier album Section.80 en indépendant, il provoque rapidement son petit buzz malgré une promo forcément faiblarde. Il faut dire que déjà à l’époque, il est quelque peu entré dans l’entourage de Dr. Dre, rien que ça. Quelques mois plus tard, ce dernier le prend officiellement sous son aile en le faisant signer sur son label. A côté de ça, les featurings prestigieux s’enchaînent dans lesquels il vole parfois la vedette de ses hôtes avec son flow précis, sa voix changeante et ses lyrics ciselés.
Puis vint évidemment Good Kid, M.A.A.D City. Inutile de revenir plus dessus ici, si ce n’est en disant qu’il est aujourd’hui considéré par beaucoup comme l’un des rares “classiques” Hip Hop de notre époque. Pour être plus précis, il n’y en a eu à mon sens que deux dans les années 2010 pour l’heure : lui et My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West.
Le plus dur était désormais à venir pour Kendrick Lamar. Allait-il être capable de réitérer l’exploit ?

Il est encore un peu tôt pour affirmer que To Pimp A Butterfly sera considéré à la même hauteur que le précédent, même si je le pense, mais dans tous les cas c’est d’ores et déjà une très grande réussite. Certes, ce n’est pas une grande surprise compte tenu de la qualité des titres parus au compte-goutte ces derniers mois, mais la crainte de la déception restait toujours présente.

Kendrick Lamar n’a ici pas cédé à la facilité. Combien à sa place se seraient contentés de faire un banal album mainstream, de s’asseoir sur le trône que tous lui ont offert et de surfer sur la vague du succès ? Non pas qu’il s’agisse là d’un virage à 180° parce que To Pimp A Butterfly s’avère finalement être une suite logique à sa discographie. Les principaux ingrédients ayant fait la singularité de Good Kid, M.A.A.D City sont toujours là, mais en plus poussé, exacerbé. L’album déborde d’une ambition qui n’en est pas moins tout du long maîtrisée. Chaque production (Flying Lotus, Knxwledge, Boi-1da, Thundercat,…) est peaufinée à l’extrême, les sonorités jazz et soul se font encore plus prégnantes qu’auparavant au point de faire parfois jeu égal avec le rap. Il y a un vrai long et minutieux travail sur chaque titre et ça se ressent à chaque mesure. Côté textes, le rappeur ne se contente pas d’égotrips comme tant d’autres. Il a des choses à dire et le fait avec bien plus de talent, finesse et ingéniosité que la moyenne.
Plus globalement et après désormais pas mal d’écoutes (en boucle), rien n’est à jeter parmi les 16 pistes qui sont autant d’hommages aux pères spirituels de Kendrick Lamar que des titres foncièrement personnels et artistiquement marqués par son auteur. L’ensemble est par ailleurs clairement bâti pour être écouté comme un tout, dans une sorte de pamphlet tournant principalement autour de la condition afro-américaine d’aujourd’hui.
Evidemment on peut en ressortir quelques préférences quand même, et si je devais en citer quelques uns je dirais : How Much A Dollar Cost, le surpuissant The Blacker The Berry, Hood Politics et Alright. Mais tous gagnent encore un peu à être écoutés dans leur véritable contexte.

Cette parfaite cohérence et l’absence de concession est peut-être d’ailleurs ce qui lui sera préjudiciable commercialement, au-delà de l’immense effet d’attente. Il m’est par exemple difficile de ressortir un single porteur auprès du grand public comme pouvait l’être Swimming Pools (Drank) il y a 3 ans. Mais visiblement Kendrick Lamar s’en fout (et moi aussi en fait). J’ai un peu plus à chaque fois la sensation qu’il a atteint un tel niveau de crédibilité avec son précédent opus qu’il peut désormais faire ce qu’il veut sans avoir à se soucier de savoir si ça marchera ou non. Tant mieux pour lui et pour nous tant qu’il sort des compositions de ce standing.

On peut penser ce que l’on veut de la façon dont la carrière musicale et commerciale de Dr. Dre a tourné depuis bientôt une quinzaine d’années, il n’en reste pas moins le meilleur le meilleur dénicheur et façonneur de talent. Il n’était pas pour rien dans la réussite de Tupac Shakur dans les années 90, fut à la base de celle d’un Eminem qui survola le début du siècle. C’est désormais Kendrick Lamar qui écrase sa génération. Et s’il parvient à conserver cette rigueur artistique durant les prochaines années, ça n’est pas prêt de s’arrêter.


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