Bilan 2018 part. II : une année de Cinéma
4 janvier 2019
L’avènement de Netflix ?
On vit une période véritablement charnière dans l’industrie du Cinéma. Jusqu’à l’an passé, l’hégémonie de Netflix concernait surtout le domaine des Séries, en révolutionnant à grande échelle leur mode de consommation et en s’imposant avec des séries tout de même globalement de bonne qualité.
Côté ciné, la donne était assez différente jusqu’à 2017 où on la plateforme a commencé à vraiment investir et aller chercher des metteurs en scène de renom pour sa plateforme. Sauf qu’hormis l’exception Okja et quelques petits films de genre sympathique, le déchet était quand même énorme. Quid de cette année 2018 ?
Roma est sans nul doute un des plus beaux films que j’ai vu cette année, et en tout cas formellement le plus fabuleux visuellement et techniquement. Le travail de Alfonso Cuarón y est tout simplement titanesque. Le souci étant pour moi que justement une telle merveille visuelle aurait dû se retrouver sur grand écran, d’autant plus qu’il s’agit d’une oeuvre très personnelle et exigeante qui nécessite une immersion totale qu’on ne peut jamais vraiment retrouver dans son salon.
Quand je vois à l’opposé un autre de mes chouchous de cette année, Blindspotting, sorti lui en salles mais avec une distribution dérisoire et donc condamné à l’échec d’avance, alors qu’il ne perdrait rien, bien au contraire, à sortir directement sur une plateforme comme Netflix, je me dis qu’il y a encore vraiment une grande optimisation possible dans le système.
De la place, il y en aura pour tout le monde. Mais il faut qu’à la fois les distributeurs, les artistes et les plateformes réfléchissent aussi à apporter la meilleure expérience possible au spectateur au cas par cas, et non juste à la stratégie commerciale (Roma n’aurait pas marché en salles probablement) ou à vouloir se donner une image. Un peu utopiste je le sais bien…
A côté de Roma, je ne suis malheureusement toujours pas très emballé par les sorties Netflix de cette année. La principale déception venant de Annihilation. J’attendais beaucoup du nouveau film de Alex Garland et, s’il n’est pas mauvais avec le recul, on reste quand même bien en-deçà de son Ex-Machina. Autre grande déception, Mute, annoncé comme le successeur de l’excellent Moon du même Duncan Jones (fils de David Bowie) est totalement tombé à plat et m’a profondément ennuyé.
Parmi les autres exemples, Outlaw King a démontré une certaine ambition mais il manque quelque chose pour en faire un vrai bon film et la performance de Chris Pine ne m’a pas du tout convaincu ici. Dans tous les cas, on pouvait espérer plus du réalisateur de Comancheria une fois encore. Un peu le même constat pour La ballade de Buster Scruggs qui restera pour moi une oeuvre mineure de la filmographie des frères Coen.
Un mot enfin sur le récent Bird Box, assez symptomatique de tout ce que je ne veux pas voir sur Netflix. L’entreprise se revendique comme offrant une liberté créative totale à ceux qui travaillent avec eux, et pourtant ici je ne vois que cahier des charges, pompage et pas une once d’originalité. Le script ici n’est qu’un ersatz de Sans Un Bruit mais surtout du très décrié Phénomènes de M. Night Shyamalan, le tout saupoudré d’une ambiance de film/série de zombie. Tout ça pour donner un film sans saveur.
En 2019, on attend forcément de voir The Irishman de Martin Scorsese débouler sur la plateforme, en espérant qu’il mette définitivement tout le monde d’accord. Une production sur laquelle Netflix ne peut pas se louper à l’heure où Amazon commence à mettre les bouchées double pour refaire son retard et où surtout Disney dégainera sa propre plateforme avec les gigantesques licences qu’on connait.
Des Blockbusters qui peinent à convaincre largement
S’il ne devait rester qu’un seul blockbuster en 2018 pour moi cela serait sans conteste Ready Player One. Véritable hommage à tout ce que Steven Spielberg a pu aimer au cours des 40 dernières années dans la culture populaire, mais sans jamais sombrer dans la nostalgie facile dont pâtissent la plupart des reboots de licence qu’on nous pousse tous les trimestres. Il y a ce plaisir ludique de reconnaître des centaines de références disséminées dans quasi tous les plans du film mais elles ne sont en rien nécessaires à la compréhension et à la qualité du film, ce qui fait toute la différence.
Bien sûr il y a eu Avengers 4, qui était plutôt réussi et impressionnant, même s’il ne m’en reste plus grand chose 6 mois après hormis un final dont on se doute par avance qu’il sera plus ou moins annulé par la suite. Bien sûr aussi il y a eu le succès de Black Panther, à mon sens tout de même surcoté et qui vaut en réalité surtout pour son vilain très nuancé Erik Killmonger et le charisme de son interprète. Au-delà de ça, c’était tout de même très bateau et avec un climax manquant cruellement d’ampleur. Je peux aussi citer Aquaman en fin d’année, qui fonctionne exactement sur le même schéma scénaristique que Black Panther et avec les mêmes limites, mais jouit d’une mise en scène bien plus folle, grandiloquente et intéressante. Le souci étant pour lui qu’il subit un certain mauvais goût, notamment pour ce qui concerne les costumes.
Un mot rapide aussi sur le dernier Mission Impossible. Pas très original dans son scénario, mais dont les scènes d’action restent de sacrées prouesses techniques à voir.
A côté de ça les Venom, Ant-Man, Jurassic World : Fallen Kingdom, Deadpool 2, Solo, Tomb Raider, The Predator, Pacific Rim : Uprising, etc… Autant de longs métrages oubliables ou que je préférerais oublier. Surtout ceux qui font mal à de grandes licences.
Une belle année pour l’Horreur
Si le genre horrifique a toujours son lot important de ratages et de facilités, emmené cette année par l’affreux La Nonne, l’année aura été globalement intéressante et avec de jolies réussites, à défaut de renouveler le genre.
Difficile de ne pas parler du succès public de l’année Sans Un Bruit. Si je n’ai pas été pleinement conquis par le film, il n’en reste pas moins que le résultat est plutôt original et se tient à peu près de bout en bout.
J’ai en revanche été plus emballé par le très référencé Ghostland de Pascal Laugier dans lequel son dernier déclame tout son amour pour le genre et le fait sans oublier de stresser et angoisser le spectateur. Imparfait mais un film vraiment attachant et dérangeant dans certaines de ses scènes.
Le « reboot de la suite » de Halloween m’a aussi plutôt plu. Il parvient à vraiment reproduire l’atmosphère du premier film de John Carpenter et à réhabiliter le personnage de Michael Myers, mais tout en sachant dans sa seconde moitié renverser la situation pour proposer autre chose. J’aimerais juste que la production sache s’arrêter sur cette bonne conclusion, mais vu que le succès a été au rendez-vous, ils vont probablement tout gâcher très rapidement.
Enfin la plus grande réussite est peut-être le film dont on a le moins parlé, à savoir Hérédité. Je l’ai regardé un peu par hasard, sans trop savoir de quoi il retournait, et c’est un petit sommet de glauque qui vaut vraiment le visionnage.
Quelques mentions honorables
Three Billboards Outside Ebbing, Missouri a longtemps figuré dans mon Top mais je l’en ai finalement sorti parce que j’ai la sensation avec le recul que les performances d’acteur me restent plus en tête que le film en lui-même.
Jusqu’à La Garde est un film émotionnellement très fort et d’autant plus impressionnant que c’est le premier réalisé par Xavier Legrand. Sa maîtrise du rythme, de la tension qui va sans cesse crescendo et sa direction d’acteur sont déjà bluffants. Rare de voir un enfant jouer aussi juste dans une production française.
Autre film méritant de ne pas être oublié, le thriller danois The Guilty qui parvient à nous tenir en haleine et sous pression prendant près de 1h30 face à un seul policier qui n’interagit que par téléphone. Il ne fait guère de doute que Hollywood y verra une aubaine pour un futur remake, plutôt que de sortir le film chez eux.
Et je n’oublie pas non plus un Au Poste !, excellente comédie absurde de Quentin Dupieux emmenée par un duo Poelvoorde et Ludig au meilleur de sa forme. C’est pour ça.
Pas loin derrière, The House That Jack Built est un bon Lars Van Trier, même si je suis parfois un peu resté hermétique à son ambition de nous mettre en empathie avec un Serial Killer pour mieux nous questionner.
Quand à Spider-Man : Into The Spider-Verse, il restera probablement comme le meilleur film de super-héros de 2018. Mais je garde quand même cette sensation qu’on le porte à ce point aux nues plus par lassitude des films Marvel et DC trop calibrés plus que par ses propres qualités. C’est un très bon film, mais pas un chef d’oeuvre non plus.
Enfin, un dernier mot sur Bodied, disponible lui via Youtube Premium (on ne va plus s’en sortir dans toutes ces plateformes), film d’une grande intensité sur les Battles de rap, sorte d’ersatz modernisé de 8 Mile, et d’ailleurs produit par Eminem. C’est formidablement interprété, sans temps mort, parfois mordant, les battles sont de vrais moments de bravoure mis en image comme des combats de boxe et on ne s’ennuie pas une seule seconde.
Mon Top 10 de l’année 2018
10. La Forme de l’Eau, de Guillermo Del Toro
Tout a déjà plus ou moins été dit sur le film donc je ne m’y attarderai pas plus que ça. C’est un Oscar mérité pour Del Toro et un film qui restera sûrement longtemps dans les esprits de beaucoup de spectateurs.
9. Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson
Un des plus grands metteur en scène de notre époque et peut-être le meilleur acteur, censé tirer ici sa révérence (on espère que non). Ce film, c’est de la haute couture au moins autant que son sujet !
8. Blindspotting, de Carlos López Estrada
Je l’ai évoqué plus haut dans mon pavé déjà, mais c’est sûrement la plus belle surprise de cette année 2018 et peu de monde encore aura eu l’occasion de le voir. Si le pitch n’a rien de foncièrement original, laissant penser à un drame politique et social un peu facile, c’est en fait tout l’opposé. Estrada trouve l’équilibre parfait entre un fond dramatique et une forme lorgnant par moment presque vers la comédie, déjoue les codes du genre et se permet même quelques passages de rap/slam parfaitement intégrés au récit. La justesse est également à l’ordre du jour dans le casting et Daveed Diggs a un avenir tout tracé à Hollywood. Gros coup de cœur pour Blindspotting.
7. First Man, de Damien Chazelle
Damien Chazelle, seulement 33 ans mais déjà 3 grands films à son actif en tant que metteur en scène (je n’ai pas vu le premier avant Whiplash). Je ne suis peut-être pas aussi enthousiaste cette fois qu’avec La La Land, mais il parvient ici à changer de style sans perdre en qualité et offre quelques séquences à couper le souffle, comme ce fameux alunissage à la fin. Un film qui n’a pas eu le succès en salles qu’il méritait.
6. Under The Silver Lake, de David Robert Mitchell
Sortant du genre de l’horreur après l’excellent It Follows, David Robert Mitchell signe un film halluciné et complexe, grouillant d’idées et dressant un portrait peu reluisant de notre époque, perdue entre nostalgie et délires paranoïaques. C’est parfois bordélique parce que le film peu souffrir d’un presque trop plein, mais j’ai personnellement totalement adhéré au message véhiculé et au style. Et puis cette scène avec le « créateur » … Sûrement celle que je préfère en 2018 et qui résume à bien des égards ma pensée ma pensée sur l’industrie musicale.
5. L’Île Aux Chiens, de Wes Anderson
Assurément le plus beau film d’animation de l’année 2018 et un des meilleurs films tout court. Beau, poétique, émouvant, drôle, triste… Le film en stop motion de Wes Anderson parvient à être tout ça à la fois et même bien plus encore, sans oublier sa superbe direction artistique. Doté pour ne rien gâcher d’un casting vocal XXL et d’une très belle B.O. d’Alexandre Desplat (qui aura fait une très belle année lui aussi), il n’y a en fait pas vraiment quoique ce soit à redire sur L’Île aux Chiens tout simplement. Juste à se ruer pour le voir ou le revoir.
4. Roma, de Alfonso Cuarón
Une oeuvre qui prête à débat sur bien des aspects. Déjà parce que par son ton, sa lenteur, son aspect très contemplatif, l’âpreté extrême de son déroulement pour le spectateur et les messages distillés qui ne fonctionnent quasi que de façon métaphoriques, il laissera forcément beaucoup de monde sur le bord de la route. Et d’autant plus avec ce mode de distribution via Netflix parce qu’on ne s’immerge jamais autant dans un film dans son canapé ou son lit que dans les salles obscures.
Pour autant, j’ai personnellement trouvé le film assez fabuleux. Il mérite déjà le visionnage pour son aspect visuel. C’est clairement le plus beau film de l’année et certains plans feront même sans doute partie des plus incroyables de la décennie. Il y a un travail d’une minutie et une perfection incroyable dans chaque plan et chaque mouvement de caméra. On savait depuis longtemps que Alfonso Cuarón était un grand metteur en scène visuel, mais là il frôle la perfection.
Pour peu que la lenteur et sa longueur ne vous fasse pas peur, il faut vraiment se laisser tenter.
3. Climax, de Gaspar Noé
Je ne suis pas forcément très objectif lorsqu’il s’agit de Gaspar Noé, étant fan depuis très longtemps de son travail. Personne ne retranscrit mieux l’état ressenti et les effets hallucinatoires des stupéfiants. C’était déjà le cas dans le génial Enter The Void, ça l’est tout autant dans Climax, véritable plongée cauchemardesque dans un bad trip collectif qui fait vriller le spectateur autant que la caméra.
Très anxiogène, le film n’est sans doute pas à mettre entre toutes les mains et il résonne parfois comme un best of de la filmographie de Noé. Mais c’est une véritable expérience, qui se vit de préférence en salles, même si cela devient compliqué 3 mois après sa sortie (mais encore possible).
2. Une Affaire de Famille, de Hirokazu Kore-eda
Généralement, je suis assez critique avec les films remportant les principales récompenses du monde du Cinéma. Pourtant cette année, je place dans mon Top 10 l’Oscar du Meilleur Film (La Forme de L’Eau), le Lion d’Or de Venise (Roma) et donc la Palme d’Or de Cannes avec Une Affaire de Famille. Ce film de Kore-eda est aussi simple dans la forme que complexe dans le fond, jamais manichéen voire presque subversif sur certains aspects. Il nous met en quelques minutes en empathie avec cette attachante famille pourtant loin d’être irréprochable et pleine de non-dits.
Certains diront que l’ensemble tire peut-être un peu en longueur, mais ce fut pour moi un plaisir de chaque instant.
1. Burning, de Lee Chang-Dong
Si Une Affaire de Famille a eu la Palme d’Or, le film coréen Burning est lui reparti sans rien de Cannes même si je le trouve encore plus fort et impactant. Rares sont les cinéastes capables comme Lee Chang-Dong de jongler avec les genres avant autant de talent et de subtilité. On oscille ici pendant près de 2h30 sur un fil entre romance, drame et thriller jusqu’à un final d’une grande intensité, laissant dans le même temps le spectateur dans le doute pour qu’il se fasse sa propre idée de ce qu’il en est réellement. Le film offre par ailleurs de multiples niveaux de lecture, du simple film intimiste au message politique parfois explicité sur la situation entre les deux Corées.
Et que dire de cette scène « vaporeuse » qui restera une des plus belles de 2018.