Critiques Ciné : « Ça » « Mother! » et ses « Seven Sisters »
23 septembre 2017
« It », réalisé par Andres Muschietti
Je fais partie de cette génération dont l’enfance a été marquée à tout jamais par Pennywise, ce fameux clown maléfique découvert un soir de 1993 sur M6. J’avais alors 10 ans, trop jeune pour reconnaître la plus que médiocre qualité de ces trois heures de téléfilm mais aussi et surtout en plein dans la génération pour s’identifier aux versions enfantines de ses héros. Plus que m’effrayer, « Il » Est Revenu est je pense pour beaucoup dans mon intérêt qui a suivi pour les films d’épouvante/horreur.
Vingt-sept ans après sa première diffusion aux Etats-Unis et donc dans le même timing que ses apparitions dans l’oeuvre originale de Stephen King, Pennywise revient donc sur nos écrans dans une nouvelle adaptation mise en scène par Andres Muschietti, réalisateur ayant fait ses preuves sur le remarqué « Mama » en 2013.
C’est au jeune, mais pas inexpérimenté, Bill Skarsgård qu’est revenue la lourde tâche de succéder au génial Tim Curry dans l’interprétation de ce personnage si iconique. Et c’était là sans doute le point le plus casse-gueule, l’inévitable comparaison pouvant m’empêcher d’entrer dans le récit comme il devrait.
Fort heureusement il n’en est rien, principalement grâce à cette introduction aussi effrayante que jubilatoire dans laquelle Bill Skarsgård fait instantanément oublier son prédécesseur. Ni mieux ni moins bien, il livre une prestation résolument différente, moins grand-guignolesque et kitsch mais aussi bien plus perverse. Le film a par ailleurs l’intelligence de ne pas le sur-utiliser, ce en profitant bien plus de la faculté qu’a le monstre de se transformer en les pires peurs et phobies de ses proies. Ce point important du récit, presque éludé dans la première adaptation si l’on excepte une transformation un peu ridicule en loup-garoup, est ici joliment réhabilité. Ceci est d’autant plus intéressant dans le développement du monstre que, si sa finalité est de dévorer les humains, ce qu’il aime pardessus tout et ce dont il semble même avoir besoin, c’est de se nourrir de l’effroi et des phobies des autres, le rendant logiquement plus enclin à s’attaquer aux enfants en premier.
Les enfants justement, parlons-en, puisqu’ils s’avèrent peut-être le grand point fort de ce premier chapitre. Hormis la racaille de service qui ne m’a pas convaincu, tous sont absolument parfaits, attachants, jouent juste et sont souvent drôles. On ressent même au final que ce film dans le film, animant et rapprochant ce petit groupe, intéresse finalement plus Muschietti que la menace qui rode continuellement sous Derry. Chacun de ses enfants possède un background que l’on découvre progressivement douloureux et sombre, au point que la réelle horreur du récit ne se trouve peut-être pas où on l’aurait pensé au départ. L’idée m’a vraiment plu, est bien développée et permet à « It » de se démarquer intelligemment d’une concurrence souvent très basique à ce niveau.
Toutefois, ce qui fait donc la force du film amène aussi ce qui sera sûrement jugé comme un point faible par certains : « It » ne fait pas vraiment peur. Pas une surprise pour ma part, puisque je faisais exactement le même constat avec le premier long métrage de Muschietti. Mais si l’argentin est doué pour poser une ambiance forte, pesante et s’il est un très bon technicien de l’image, d’ailleurs bien épaulé ici par l’excellent Chung-hoon Chung à la photo, il pêche parfois un peu lorsqu’il s’agit de véritablement effrayer le public. A moins que ça ne l’intéresse juste pas ? Et est-ce de toute façon le but premier de l’oeuvre de Stephen King au global que de jouer la carte de l’horreur pure ? Je ne crois pas.
Nous vous attendez donc pas (ou peu) à sursauter. A une ou deux exceptions près, on sait quand et par où le mal va arriver, Pennywise privilégiant le jeu et l’attaque frontale. Dans l’absolu, je ne trouve pas ça gênant, mais je comprends qu’une partie du public puisse en ressortir un peu frustré.
« It » est donc pour moi une réussite dans le genre, un bon divertissement d’épouvante, aux personnages plus travaillés que la moyenne et à l’antagoniste toujours aussi remarquable. Il n’y a maintenant plus qu’à attendre deux ans pour retrouver la petite ville fictive de Derry dans un contexte résolument différent et je n’en dis pas plus pour ceux qui n’auraient jamais vu ou lu.
Mother!, réalisé par Darren Aronofsky
J’aime beaucoup le travail de Darren Aronofsky depuis « Pi« , avec une légère préférence pour le dérangeant « Requiem For A Dream » et le bien plus clivant « The Fountain« . On peut même considérer qu’il fait partie de ces quelques metteurs en scène pour lesquels je me déplace automatiquement en salles. « Noé« , sa dernière oeuvre en date, a pourtant sonné comme un coup d’arrêt et j’en suis ressorti profondément déçu, pas aidé il est vrai par la thématique biblique qui ne m’intéresse pas franchement.
Et dans la mesure où les textes dits sacrés sont d’une certaine manière une fois encore au centre du récit de Mother!, je me suis assis en salle avec une petite appréhension.
Sauf que cette fois, et sans trop en dévoiler, le film ne s’arrête pas à une structure de récit allégorisant la Bible d’un bout à l’autre. Adam & Eve, Abel & Caïn, le fruit défendu, le Déluge, Jésus, l’Apocalypse etc… Tout y passe avec plus ou moins de subtilité mais ce qui fait tout l’intérêt du propos est qu’Aronofsky ne s’arrête pas là, vient y mêler une seconde allégorie autour de la Nature elle-même, le personnage principal incarné avec brio par Jennifer Lawrence pouvant en quelque sorte représenter la Mère-Nature, et utilise ces différents éléments pour évoquer d’autres sujets plus personnels. On peut donc y déceler toute une réflexion autour de la création artistique et ses effets parfois pervers autant pour le créateur en lui-même que pour son public, mais aussi de grands relents misanthropes, thème latent chez le réalisateur et vraiment omniprésent ici. Ce mélange nébuleux et d’autant plus complexe qu’il n’est jamais totalement explicite est donc prétexte pour Darren Aronofsky a nous expliquer à sa façon pourquoi et comment l’Homme ne peut s’empêcher de détruire son environnement et tout ce qu’il créé, quel que soit son degré d’évolution et l’époque.
Et le fait est que c’est une thématique et un discours qui me parle beaucoup. Si l’on y ajoute la maestria plus formelle de sa mise en scène, il en ressort donc à mon goût un film vraiment majeur de cette année 2017.
Et pourtant en sortant de la salle il y a maintenant une semaine, j’étais incapable de dire si j’étais convaincu ou non. Parce que c’est un film qui, au-delà d’être foncièrement sombre, malaisant et dur autant visuellement que psychologiquement, nécessite un véritable effort de réflexion pendant et après la séance. Il regorge de détails pouvant paraître incohérents ou juste étranges sur le moment mais qui prennent tout leur sens et leur force lorsque l’on a dénoué et digéré l’ensemble après coup.
A partir de là, il est évident que « Mother! » se coupe d’une partie non négligeable du public qui ne sera pas forcément prêt à lui donner l’attention et la concentration nécessaire mais qui, pour moi, ne fait en un sens que confirmer le moteur même de l’oeuvre. Il n’est ceci dit pas non plus aidé par son distributeur qui a préféré vendre au public une espèce de film d’horreur qu’il n’est pas du tout, quand bien même il peut contenir quelques éléments du genre. Bien que les deux films n’aient pas de rapport réel, cela me rappelle un peu la distribution de « The Village » (de M. Night Shyamalan), promu en son temps par ses penchants effrayants alors qu’il cachait sous sa coquille une grande romance.
Il est d’ailleurs assez drôle de voir aujourd’hui la promotion de Mother! changer d’angle après coup et tenter de jouer sur le clivage qu’il provoque.
Mother! est un film âpre, qui mettra sûrement du temps voire des années avant de trouver la place qui lui est à mon sens dû, mais je l’estime d’ores et déjà comme l’un des plus marquants sortis cette année.
Seven Sisters, réalisé par Tommy Wirkola
Succès un peu surprise de cette fin d’été 2017 en France, « Seven Sisters » est au départ une production destinée au catalogue de Netflix. Flairant sûrement le potentiel commercial, la décision a été prise ici de sortir en salles ce film initialement nommé outre-atlantique « What Happened To Monday« . Récit de science-fiction, il nous conte donc une dystopie dans laquelle une politique de l’enfant unique a été mise en place pour lutter contre une surpopulation ne pouvant, selon les autorités, mener qu’à une fin tragique pour l’humanité.
Nous allons y suivre plus précisément sept sœurs jumelles, toutes incarnées à l’âge adulte par Noomie Rapace, et leur père (Willem Dafoe), celui-ci mettant au point tout un stratagème pour permettre à ses filles de survivre en se faisant passer tour à tour pour une seule et même personne.
Sans être super originale, l’idée était plutôt prometteuse, autant en terme de mise en scène que de performance puisque filmer et faire interagir sept personnages joués par une seule actrice sur la durée totale d’un long métrage est en soit un tour de force, qui plus est lorsqu’il est question de les placer dans un film d’action. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le film est plutôt généreux à ce niveau. Le rythme est toujours assez effréné et le film prend rapidement la forme d’une course poursuite pour la survie des sœurs à travers un environnement mi-futuriste mi-apocalyptique. Les moments de bravoure et explosions s’enchaînent sans laisser le temps à l’ennui de s’immiscer.
Ce qui est dommage en revanche, c’est que Tommy Wirkola et les scénaristes veulent aller tellement vite qu’ils en oublient un peu tout ce qui pouvait faire le sel et l’intérêt d’un tel récit. Les considérations politiques et humaines ne sont finalement que survolées, empêchant même de ressentir un quelconque attachement pour les héroïnes et zappant pour ainsi dire totalement le sort du père dont on ne sait pas ce qu’il advient.
Privilégier la forme au fond est une décision comme un autre, même si elle ne m’a pas vraiment convenu, et difficile de lui reprocher ça en tant que tel. Wirkola n’est de toute façon pas réputé pour sa grande subtilité, comme en témoignent le délirant dyptique « Dead Snow » (le second est vraiment fun !) qui l’a fait connaître du public et des studios hollywoodiens. Sauf qu’on ne retrouve pas non plus dans « Seven Sisters » toute la folie dont il est capable. Le déroulement est même assez plat et convenu dans l’ensemble, la courte scène du doigt mise à part. D’un bout à l’autre on reste sur des rails et l’on devine dès la fin de la mise en place comment cela va se terminer.
Si on y ajoute un budget limité et un côté cheap que l’on retrouve souvent dans les productions liées de près ou de loin à Netflix, on peut légitimement se demander si le parti-pris est le bon. Il y avait en tout cas pour moi bien mieux et intéressant à faire avec un tel sujet.