Une Histoire de samples Vol. 6 : l’ombre de Godzilla
13 mai 2020
Si je choisis de le mettre en exergue aujourd’hui, c’est aussi que l’actualité nous en offre justement un exemple supplémentaire par un morceau encore tout chaud et issu de la « Boulangerie Française Vol. 4 » de DJ Weedim, dont les portes s’ouvriront le 26 juin prochain. « Qui est fucked up ? » ne marque pas seulement par l’arrivée sur les grandes plateformes de streaming de Deadi, rappeur dont les talents en freestyle ont grandement joué pour sa popularité ces derniers mois, mais aussi par l’utilisation d’un sample qui paraîtra sans doute familier à pas mal d’amateur du genre, et même peut-être au-delà, extrait du titre « Gojira Tai Mosura » .
Sorti en 1992 dans le cadre de l’O.S.T. de « Godzilla vs. Mothra » , le morceau original fut réalisé par le compositeur emblématique de la saga japonaise Akira Ifukube et s’avère être le plus repris et retravaillé dans divers genres musicaux à ce jour. Avant cette nouvelle pièce apportée par DJ Weedim, le site de référence sur la question Whosampled dénombrait déjà 25 samples, majoritairement dans le Hip Hop, mais pas exclusivement.
Pour retrouver le précurseur de l’idée, il faut à priori remonter jusqu’en 1999 et au premier album, alors très attendu, de Pharoahe Monch. « Simon Says » en était le principal single et reste d’ailleurs le titre le plus écouté de la discographie de l’artiste, qui au-delà du texte et l’interprétation avait activement œuvré à la production.
Un morceau légendaire de l’Histoire du Hip Hop, lui-même référencé à de multiples reprises depuis, par exemple par Lil’ Kim, mais j’y reviendrai un peu plus tard, Wyclef Jean, Mura Masa au sein d’un remix, mais aussi plus subtilement chez nous par le Saïan Supa Crew qui en reprendra la rythmique en 2001 sur « J’Entends Dire » .
Ce ne sont pas les seuls français à s’être approprié ce « Gojira Tai Mosura » : en 2007, Justice, pour faire une courte digression plus électro, s’y colle dans le fameux et tonitruant titre « Genesis » , introductif de son premier album. Il y a une dizaine d’années, c’était au tour de Grems et du producteur Klimaax de triturer ces notes assourdissantes pour le dérangé et dérangeant, mais non moins hypnotique, « Rencontre Avec Un Ballon » .
Plus proche de nous, c’est Disiz (et est-ce vraiment un hasard au vue de sa proximité avec Grems ?) qui les reprenait à plusieurs reprises le long de son bien nommé album « Disizilla » . Mais là on entre dans une nouvelle catégorie, dans la mesure où c’est un projet entier qui prend ses racines dans la saga Godzilla, créée et popularisée dès les années 50 par la société de production Tōhō.
Il est à noter en parallèle que Disiz La Peste est un coutumier des références cinématographiques dans la conception de ses chansons. Pour exemple, le titre qui l’a fait connaître aux yeux de la France entière il y a 20 ans « J’Pète les Plombs » calquait son récit sur celui du film « Chute Libre » de Joel Schumacher.
Dans cette même catégorie de formats pleinement ancrés dans l’univers kaijū, on traverse l’Atlantique pour retrouver le grand MF Doom qui utilisa en 2003 l’alias King Geedorah, ennemi récurrent de Godzilla, le temps de composer le projet « Take Me To Your Leader » . Il va de soi que des extraits et sons provenant des films parsèment l’ensemble de l’album.
Dans le fond, il n’y a rien de plus logique que de voir la référence revenir si régulièrement dans le monde du Rap. Le principe d’ego trip en fait partie intégrante et quelle meilleure représentation que celle de l’imposant et indestructible Godzilla pour signifier sa supériorité sur la concurrence ?
Lil’ Kim semblait en tout cas y voir la comparaison parfaite en 2011 pour cracher son venin sur Nicki Minaj. C’est pourquoi elle choisit de reprendre la prod de « Simon Says » évoquée plus haut pour poser les textes de sa diss track (ndlr : morceau ciblant violemment une autre personne ou un groupe en particulier) envers l’étoile montante qui menaçait alors largement son trône.
Il y a quelques semaines à peine, ce n’était pas non plus le fruit du hasard si Eminem choisissait de titrer un des morceaux de son dernier opus simplement « Godzilla » , accompagné du regretté Juice WRLD en featuring… Et surtout dans lequel l’auto-proclamé Rap God bat un record de vitesse en mitraillant 229 mots en 30 secondes. Lui et son management poussèrent le concept dans le cadre de la promotion du single jusqu’à lancer un #GodzillaChallenge sur les réseaux sociaux pour voir qui serait capable de tenir le rythme en reproduisant le couplet en question.
Pour l’anecdote, on retrouvera parmi les prétendants le français Davodka relevant avec brio le défi :
Sachant que les industries cinématographiques japonaises et américaines continuent, avec plus ou moins de succès public et critique, de perpétuer les apparitions de Gojira sur grand écran, il n’y a pas de raison que ce lien se brise à l’avenir.
Ce qui pourrait s’avérer peut-être plus intéressant désormais, ce serait aussi de plus considérer le pan plus protecteur du personnage. Car n’oublions pas que sous un aspect formel le poussant à la destruction massive de nos constructions humaines dès qu’il pointe le bout de son museau, l’existence de Godzilla est non seulement due scénaristiquement à un passé nucléaire de notre fait, mais aussi vouée à la protection de la planète plus qu’à la défigurer.
À date le seul à avoir véritablement un peu exploré l’ambivalence du personnage reste Disiz sur son album, mais plus pour la mettre en perspective avec sa propre vie, ses doutes et ses actes.
Il y a encore sans doute beaucoup à explorer et dire autour de cet univers. En attendant de prochaines créations, je termine sur une dernière note musicale avec un morceau de 2007 signé du collectif Army of the Pharaohs et pour lequel le producteur Esoteric mêle plusieurs extraits de la « Godzilla March » , toujours initialement composée par Akira Ifukube.